Prise de tête dès le matin...

Tout était là pour que Kenji soit de mauvaise humeur. Il avait été réveillé par la sonnerie de son téléphone de service peu avant onze heure alors qu'il venait à peine de s'endormir, il était à présent quatre heure et demi et le Soleil n'était pas encore levé, et il était coincé dans le bureau de son supérieur pour faire un inutile rapport alors qu'un hématome se formait sur sa joue et qu'il n'arrivait pas à faire cesser le flot de sang qui s'écoulait continument de sa main depuis maintenant près d'une demi-heure, et Valthera faisait jouer son épaule pour s'assurer de son bon fonctionnement. Pourtant, il n'éprouvait qu'une vague lassitude qui ne l'atteignait même plus, et s'efforçait de dissimuler ses soupirs las à chaque nouvelle question du chef de brigade. Et quoi, c'était bien lui qui l'avait fait appeler pour mettre fin à une bagarre de rue, non ? Alors pourquoi s'éterniser sur des détails ? Ne ferait-il pas mieux de se consacrer à son affaire en cours "plus importante qu'une simple querelle de quartier" qui avait fait que le manque de personnel resté sur place exige un renfort extérieur... Apparemment c'était plus marrant de le retenir ici. Procédure, procédure, il vous en ficherait lui des procédures ! Enfin... Il prenait son mal en patience. Mais ne se fit pas prier lorsqu'il fut enfin libéré. D'un pas vif, il se pressa de regagner le pensionnat, impatient de retrouver son lit.

Mais lorsqu'il eut retrouvé le bâtiment familier et regagné son studio, en levant les yeux vers une pendule il constata qu'il serait six heure dans un quart d'heure. Il soupira et se laissa tomber sur son lit, se demandant si ça valait la peine de se recoucher ou non. Tant pis pour le footing du matin, ils s'en passeraient aujourd'hui. La nuit avait été assez riche en émotions pour qu'il puisse estimer ne pas en avoir besoin.
Il était à moitié perdu dans des pensées inconscientes lorsque le puma lui lécha la main, l'avant-bras jusqu'alors posé négligemment sur son genou la laissant à portée. Il la retira par réflexe, et se tourna vers son daemon. Comprenant d'où était venu le contact, il s'excusa d'un regard.

"Excuse-moi Val."

Le puma s'assit et le regarda en ayant l'air de suggérer quelque chose. Kenji soupira et jeta de nouveau un coup d'œil à l'horloge. Un quart d'heure avait passé sans qu'il s'en rende compte. Son esprit à moitié endormi était plus ou moins déconnecté de la réalité... Il se serait bien endormi tout de suite sans prêter attention à rien d'autre. Mais Val avait raison. Aucun mot n'avait été nécessaire pour qu'ils se comprennent. Kenji se leva et se doucha rapidement. Mais lorsqu'il ressortit, habillé de vêtements propres, l'entaille sur sa main, provoquée par l'éclat de la bouteille en verre, saignait de nouveau autant qu'un peu plus tôt. Il n'était pourtant pas hémophile... En tous cas, c'était assez douloureux. Il attrapa au hasard un torchon et l'enroula autour de sa main pour être tranquille le temps d'avaler quelque chose, laissant ses cheveux goutter sur le débardeur noir qu'il avait passé négligemment, et s'attirant un regard peu enthousiaste de la part du félin.

*"T'inquiète, je ferai ça après."*

En fait, il n'était pas du tout pressé de se pencher sur le problème et fit son possible pour retarder le moment où il n'aurait plus le choix. Le puma était parfaitement conscient de ce que faisait l'humain et le suivit du regard en battant du bout de la queue, couché dans un coin de la pièce.
Lorsque Kenji ne trouva plus d'excuse, il soupira et tira d'une armoire à contrecœur un flacon de désinfectant. Il en imbiba une compresse, et l'appliqua sur sa main, se faisant grimacer. Perplexe, il se laissa tomber sur une chaise. A ce moment, il sentit une douleur s'emparer de son autre main, pourtant indemne. Il se retourna vivement et vit... que sa main était entre les crocs de son daemon, qui serrait doucement les mâchoires.

"Hey mais... !"

Il ne termina pas sa phrase lorsqu'il remarqua que sa moitié se tenait sur trois pattes.

"Pardon Val..."

Il ne lui avait pas fallu plus d'un centième de seconde pour comprendre qu'ils étaient l'un et l'autre trop fatigués pour empêcher que leurs ressentis se mélangent. Ainsi, le puma éprouvait la même douleur que l'humain. La différence était que c'était moins pratique pour lui que pour son compagnon, lui marchant sur quatre pattes tandis que son humain n'en avait besoin que de deux.
Se résignant, il soupira et prit la direction de l'infirmerie. Fallait ce qu'il fallait hein...

Tandis qu'il marchait, il vit plusieurs fois son puma boitiller, et s'en excusa d'une caresse mentale, redoublant d'efforts pour ne pas laisser filtrer la douleur vers l'esprit du daemon.

La porte de l'infirmerie était fermée, et le torchon qui entourait toujours la main du jeune homme avait troqué sa couleur initialement blanc cassé pour un grena vif et gouttait sur le sol, marquant son passage. En jetant un coup d'œil sur son téléphone de service, soigneusement rangé dans la poche de son pantalon de survêtement malgré les derniers évènements, Kenji vit qu'il était sept heure moins le quart. Il soupira et espéra que l'infirmier était matinal. Il ne l'avait croisé que quelques fois dans les couloirs, mais n'avait jamais prit le temps de discuter avec lui et ne le connaissait pas. Son daemon était un petit oiseau, si ses souvenirs étaient exacts. De toute façon, il ne tarderait pas à le savoir. Il frappa doucement à la porte, ne voulant rentrer pour le cas où il n'y aurait encore personne, Valthera attendant sagement près de lui.

L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt. C’était une des phrases fétiches de la famille Ukita. Et tous l’appliquaient. Même le week-end en ce qui concernait Tomoe. Cela avait même de quoi exaspérer certains de ses amis quand ils venaient dormir chez elle. Elle était la dernière couchée et la première levée. Il faut dire qu’avec seulement 5 heures de sommeil nécessaires pour être opérationnelle toute la journée du début à la fin, ça aidait pas mal. La jeune femme était plus que ravie de cette capacité à dormir peu. Cela lui permettait d’avoir des journées plus longues que la plupart des gens. Ainsi elle pouvait faire son boulot d’une part sans oublier sa propre vie privée et distractions de l’autre. Aujourd’hui était un jour comme un autre. Elle se réveilla doucement, s’asseyant en tailleur dans son lit avant de s’étirer. Elle jeta un œil au réveil. 5h38. Un sourire amusé naquit sur ses lèvres. Elle avait largement le temps. Les élèves ne commençaient qu’à 8h, elle devait donc être là au moins à cette heure-là. S’étirant une nouvelle fois, elle tourna la tête pour voir Kahlùa sagement endormie au bout du lit. La respiration régulière de son caracal montrait bien qu’elle était apaisée.

Tomoe la laissa dormir tranquillement et décida de se lever malgré l’heure. De toute façon, elle n’était pas du genre à rester au lit sans rien faire et elle savait très bien qu’elle ne se rendormirait pas. Autant mettre ce temps à profit. Elle se changea rapidement, troquant affaire nocturne pour affaire sportive. Puis elle commença ses enchainements de tai-chi en silence, profitant de la quiétude avant le brouhaha des élèves. Au bout d’une demi-heure, elle s’arrêta pour aller se réfugier sous l’eau chaude. C’est pendant ce temps-là que Kahlùa décida de quitter le monde des rêves pour celui du réel. Comme son amie, l’étirement fut la première chose qu’elle réalisa. Elle ne la chercha pas, entendant parfaitement l’eau couler dans la pièce attenante et resta tout aussi sagement assise au bout du lit. Quittant la douche, elle se sécha les cheveux qu’elle laissa libre avant de s’enrouler la serviette autour du corps. Se regardant dans le miroir, elle attacha mécaniquement son pendentif qui reflétait son nom. Quand elle sortit de la salle de bain, le félin émit un doux ronronnement, montrant son contentement de la voir. En serviette, la jeune femme sourit et s’approcha de son daemon qu’elle embrassa entre les oreilles avant de la caresser avec attention.

Puis, pour éviter d’attraper un rhume maintenant, Tomoe se sécha avant de s’habiller. Pantacourt noir à fines rayures grises, débardeur et chemisier blancs. Cela suffirait, il ne faisait pas encore si froid que ça. Sans oublier l’élément indispensable : la blouse blanche propre à sa profession au sein de l’école. Sautant dans des chaussures à talons noires, elle attrapa clés, montre et téléphone portable avant d’ouvrir la porte de sa chambre en regardant Kahlùa.

* P’tit déj ?

La caracal sauta du lit pour lui passer devant prestement, prenant le chemin du réfectoire. Fermant derrière elles, Tomoe suivit en souriant. Tout en attachant sa montre, elle regarde l’heure. 6h27. Tranquille. Et il n’y aurait pas grand-monde à table. Elle aurait le choix ET le silence. La journée commençait plutôt bien. Et effectivement, il n’y avait personne dans les lieux … pas matinaux les gesns dites donc. Peu importe. Cela ne les dérangeait nullement. Optant pour un café-tartines-jus d’orange, un classique en somme, elle en mangea en silence, détaillant les lieux de la même manière.
C’est avec le même sourire et le même entrain qu’elles repartirent en direction de l’infirmerie en espérant bien n’y voir personne. Mais une orientation des oreilles de Kahlùa les détrompèrent.

* Qui est-ce ?
* Je ne sais pas. En tout cas, ce n’est pas quelqu’un que l’on a déjà croisé.
* Nouvelle rencontre alors ?
* Il semblerait.
* Mais le fait que cette personne soit là est plutôt mauvais signe …
* Et c’est toi qui disais qu’ils n’étaient pas matinaux ici ?
* Oui. Mais j’aurai préféré qu’ils s’abstiennent de se blesser si tôt.

Consultant sa montre, elle y lut un 6h51. Remarque, il n’y a pas d’heures pour les accidents bêtes … Elles pressèrent le pas pour éviter de faire attendre quelqu’un qui était déjà depuis longtemps peut-être, les talons résonnants au fur et à mesure. Tomoe nota dans un coin de sa tête qu’il fallait qu’elle mette une note sur la porte comme quoi il était possible et même préférable de venir la chercher à sa chambre en cas d’urgence. Elle préférait être réveillée que d’avoir un cas grave sur les bras. Non pas qu’elle ne sache pas y faire face. Mais simple question de paperasse à remplir. Puis elles les virent. Un jeune homme d’après ce qu’elles pouvaient voir, accompagné d’un puma. Tous deux ne semblaient pas particulièrement en forme. C’est alors que l’infirmière remarqua la main enveloppée et le sang qui goutait au sol. Ha. Arrivant rapidement, elle s’excusa.

« Désolée pour le retard ! »

C’était plus fort qu’elle, elle ne supportait pas de faire attendre ceux qui avaient -réellement- besoin de ses services. Ouvrant rapidement l’infirmerie où se faufila sans attendre Kahlùa, elle s’effaça du seuil pour laisser la place.

« Je vous en prie, entrez et asseyez-vous. »

Kenji n'avait pas allumé la lumière du couloir. Ni lui ni son daemon n'avaient besoin de cet artifice pour se diriger. Son absence laissait planer dans l'atmosphère une impression de calme. Celui qui régnait encore avant le lever des élèves. Le silence est d'or, dit-on. Il adhérait totalement à cette maxime, surtout après des heures mouvementées. Mais cette immobilité pesante voulait aussi dire que personne n'arrivait, et ça c'était un constat beaucoup moins agréable. Combien de temps leur restait-il à attendre ? Le silence approximatif n'était dominé que par le son de leur respiration...
Le jeune homme jeta un coup d'oeil sur les horaires affichées sur la porte, qu'un rayon de Lune passant à travers une fenêtre lui permis de lire. La bonne nouvelle fut qu'il était à peu près sûr de voir quelqu'un aujourd'hui, la mauvaise qu'il devrait attendre encore au moins une heure.

Cela valait-il vraiment le coup de rester ici une heure ? Il ne pouvait pas attendre jusqu'à huit heure, ce qui le mettrai en retard dans son travail. Et puis.. soixante minutes, c'est long. N'aurait-il pas meilleur temps d'essayer de se débrouiller autrement ? Il regarda son daemon et discuta avec lui. Il en résulta qu'il avait déjà essayé de s'en sortir tout seul, et qu'à part ça et l'infirmerie... il ne restait plus que l'hôpital. Mais il n'allait quand même aller à l'hôpital juste pour ça... Et puis le temps de s'y rendre... A pieds comme en transports en commun, il y en aurait pour un moment. Quant à payer un taxi, c'était au-dessus de ses moyens.
Il soupira. Tous calculs faits, c'est encore rester ici qui lui semblait le plus intelligent à faire. Se résignant, il s'adossa au mur, en équilibre sur une jambe, l'autre étant pliée, le pied posé contre ce même mur. Il garda ses coudes pliés devant lui pour ne pas laisser sa main pendre et la tenir légèrement en hauteur, sans la lever franchement non plus.

Après quelques minutes d’immobilité, il commença à trouver le temps long, et se dit qu’il pourrait peut-être essayer de faire un tour dans l’établissement. Il n’était après tout plus si tôt et il y avait forcément des personnes de réveillées, notamment du côté de la cuisine. Il avait été stupide de ne pas y penser plus tôt. Il y aurait peut-être des personnes compétentes, ou en tous cas plus que lui, ce qui n'était pas très dur... Il suggéra à son daemon l'idée d'aller y faire un tour, mais lui transmis aussi involontairement l'image d'un cuisinier armé d'un couteau assez impressionnant, ce qui acheva l'hésitation du puma en faisant pencher la balance du côté "rester ici sagement". Le jeune homme soupira et pris son mal en patience.

Il ferma les yeux, résigné. Mais il n'eut plus à attendre très longtemps. Moins d'une dizaine de minutes après, la lumière du couloir vint agresser ses yeux, qu'il rouvrit pour être prêt à réagir, alors même que Valthéra prêtait l'oreille et humait l'air. Le suspens ne dura pas et l'inconnu, ou plutôt l'inconnue, leur apparue dévoilée dès qu'elle passa l'angle du couloir. Ha... mauvaise pioche. A sa connaissance, l'infirmier était un homme. Peut-être pourrait-elle les aider quand même ?

**Caracal.** fit remarquer le puma au sujet du daemon.

Il ne répondit pas et adressa à la jeune femme un regard interrogateur tandis qu'elle approchait. Elle n'y répondit pas mais s'excusa pour le retard, ce qu'il ne comprit pas vraiment. Il resta surpris en la voyant sortir la clé de l'infirmerie d'une poche, comme si c'était ce qu'il y avait de plus naturel, et entra quand elle l'invita à le faire. Il s'assit sur une chaise qui se trouvait là, le félin prenant sagement place à côté de lui, et la regarda.

"Heu... L'infirmier n'était pas un homme ? Un certain Tetsu... ?"

Il avait oublié le nom complet de la personne à laquelle il pensait, et regarda son interlocutrice, qu'il avait même oublié de saluer. L'homme avait sûrement démissionné, ou avait été muté ailleurs, il l'ignorait. En fait, maintenant qu'il y pensait, il aurait pu se douter en voyant la blouse que c'était celle d'un médecin. Le constat lui avait échappé à un moment donné... La fatigue sans doute. Enfin peu importe, maintenant qu'il était là...

Kahlùa s’était sagement assise à côté du bureau, regardant le puma de ses yeux bleus tandis que le premier réflexe de Tomoe une fois que le jeune homme et son daemon furent passés fut d’aller directement vers l’armoire qui contenait désinfectants, compresses et bandages. Elle ne savait pas encore de quoi il retournait, mais un saignement comme celui-là impliquait forcément une plaie assez importante. Elle aurait pu opter pour l’utilisation de l’un de ses pouvoirs, mais comme son patient matinal était encore conscient et qu’il tenait debout … elle préférait garder son énergie pour un cas qui nécessiterait plus d’urgence. Là, même si elle allait agir tout de suite, il n’était pas sur le point de mourir non plus. Revenant à son bureau, elle posa tout le nécessaire sur ce dernier avant d’en repartir pour aller se laver les mains.
Tout en s’essuyant les mains, elle les rejoignit de nouveau et posa négligemment la serviette sur le bord de son bureau. Elle irait la raccrocher à côté du lavabo plus tard. Pour le moment, elle tira une chaise à roulettes qu’elle positionna en face du jeune homme avant de s’y assoir tranquillement en regardant son premier cas du jour.

« Désolée, je ne connais pas mon prédécesseur. Je sais juste qu’une annonce a été publiée concernant un poste de médecin scolaire libre dans cet établissement, que j’y ai répondu et que j’ai été engagée. Je ne peux pas vous renseigner plus que ça. Je peux seulement vous affirmer que je ne suis pas un homme et que je ne me nomme pas Tetsu. »

Captain Obvious. Mais elle n'avait pas pu s'en empêcher. Tomoe baissa alors les yeux pour regarder la main qui maintenant goutait toujours, mais cette fois, sur le sol de son infirmerie. Ce dernier se retrouvait consteller d’une jolie teinte couleur grenat. Il ne faudrait pas qu’elle oublie de nettoyer tout ça une fois qu’ils en auraient terminés. Cela pouvait paraitre normal d’en voir ici, mais cela faisait tout de même un peu désordre.

* Kahlùa, rappelle-le-moi si j’oublie tu veux ?
* C’est entendu.

En plus d’être sa meilleure amie, sa confidente et sa conscience, son daemon occupait parfois le poste de secrétaire à temps partiel. Mais cela ne la dérangeait nullement, au contraire, elle était ravie de pouvoir aider sa moitié qui le lui rendait bien. Cette dernière étant alors sûre de ne rien oublier d’important. Même si elle était organisée, rigoureuse et très sérieuse dans son boulot, personne n’était à l’abri d’une erreur. Ne dit-on pas que l’erreur est humaine ?

Quittant des yeux le sang qui gouttait de façon irrégulière sur le carrelage blanc de la pièce, Tomoe fixa de nouveau le jeune homme assise en face d’elle qui devait être plus ou moins de son âge … à deux ou trois ans près. Il avait de jolis yeux verts soit dit en passant. Mais n’étant pas là pour ça, l’infirmière tendit le bras gauche et attrapa avec douceur le poignet de la main blessée avant de le tirer de la même façon vers elle.

« Vous m’expliquez comment s’est arrivé ? »

L’infirmière s’était adressée à lui d’une voix douce. Cependant, elle y avait mis assez de conviction pour qu’il comprenne bien que la question nécessitait une réponse franche. Ici, c’était elle qui décidait et personne d’autres. De sa main droite, elle commençait à retirer avec attention le torchon qui servait de bandage tout en émettant un petit bruit de réprobation à l’utilisation de ce même torchon. Il avait dû attraper ce qu’il avait sous la main. Elle ne pouvait pas le blâmer véritablement pour ça. Elle espérait seulement que ledit tissu était au moins propre. Sinon, il allait falloir des antibiotiques pour éviter les infections … donc une ordonnance. Donc de la paperasse …

Rha non ! Tout sauf ça.

Le jeune homme n'était pas très à l'aise, et c'était le moins qu'on puisse dire. Mais cela était plus visible sur son daemon que sur lui-même. Lui se tenait appuyé contre le dossier de la chaise, le dos rond, avec un air désinvolte, quoi qu'un peu crispé, tandis que le puma était plus clairement sur ses gardes, les muscles tendus, le bout de la queue battant. Bien qu'il sentit le regard du caracal, il n'y répondit pas, ses yeux verts pâles se tournant dans sa direction pour le surveiller sans que sa tête bouge.

"..."

Tous deux regardèrent les instruments s'étaler sur le bureau, l'un clairement avec méfiance, l'autre avec plus de réserve, dissimulant son anxiété. On ne leur ferait pas aimer tout ce qui s'approchait de près ou de loin au médical, qui rimait trop avec contraintes...
Kenji regarda la jeune médecin s'installer sur une chaise à roulettes -épargnons nous les jeux de mots déplacés- et le malaise monta d'un cran tandis que s'accroissait la désagréable impression de se retrouver sans issue, d'être coincé sans échappatoire. Extérieurement cependant, il n'y avait aucun changement. Il était seulement... un peu plus crispé. Et cela valait aussi pour son daemon, qui fixait l'infirmière comme il l'aurait fait s'il avait été en train de traquer une proie après une semaine sans manger.

Kenji ne répondit pas non plus à la remarque du médecin, autrement que par un haussement d'épaules. Non pas qu'il l'ait mal prise, loin de là, il n'avait tout simplement rien à ajouter. Au moins savait-il maintenant que le médecin qu'il avait croisé quelques fois sans vraiment s'arrêter pour discuter ne travaillait plus ici. Mais après tout, ça ne le regardait pas.

Si jamais la jeune femme avait encore des doutes quant à la nervosité de son patient -presque- matinal, elle en eut la preuve irréfutable lorsqu'elle vint saisir le poignet que son propriétaire avait négligemment abandonné devant lui, la main toujours tenue vers le haut, purement par réflexe. Ce dernier eut en effet un sursaut qui entraîna un mouvement de recul assez marqué -en tous cas plus qu'il l'aurait souhaité, et Valthéra laissa un petit grognement monter dans sa gorge en dévoilant ses crocs. Le regard du jeune homme, qui jusque là se baladait dans la pièce, visionnant les différents instruments de torture, se fixa sue elle, perçant et réprobateur. Il se laissa tout de même faire, n'essayant pas se dérober malgré sa visible envie d'être partout ailleurs qu'ici.

Une lueur de défi passa dans ses yeux lorsqu'il entendit la question, malgré la douceur avec laquelle elle avait été posée. Quoi que put lui répondre la jeune femme par ses expressions, il détourna la tête avec un air boudeur et vexé. Il resta ainsi immobile une seconde, fixant le mur, avant de se tourner vers elle de nouveau. Il ne changea pas d'attitude par rapport à précédemment, et cette fois sans détourner le regard finit par dire, usant peut-être de termes plus familiers que ceux qu'ils auraient choisis habituellement :

"Je... me suis fait exploser une bouteille sur la main."

Il se détourna une nouvelle fois, à présent clairement boudeur, et lâcha parce qu'il s'y sentait obligé un :

"De bière... ou je sais pas quoi."

Il resta ainsi immobile, tandis que son daemon ne lâchait pas du regard la jeune femme médecin.

Depuis le début, et hormis quelques regards à Tomoe de temps à autre, Kahlùa n’avait pour ainsi dire, pas quitté l’autre daemon des yeux. Il n’y avait pas de véritables raisons à cela. Ce n’était pas la première fois. Il lui arrivait de regarder les autres pendant des heures. Il parait que fixer du regard est malpoli, c’est pourquoi elle essayait de faire attention, mais c’était plus fort qu’elle. C’est juste qu’elle aimait bien. Et en plus, ça lui apprenait plein de choses sur les personnes en question. Là, par exemple, elle pouvait voir que son homologue n’était clairement pas à l’aise. Elle pouvait le voir aux muscles saillants et à l’agitation de sa queue. La caracal aurait été dans le même état si elle ne s’était pas sentie dans son élément. Puis elle sentit les yeux s’orienter vers elle.

* Désolée de t’avoir importuné *

Elle était bien consciente que cela pouvait en déranger certains, d’où ses excuses. Peut-être n’en voudrait-il pas, mais au moins, elle-même avait fait ce qui lui semblait juste vis-à-vis de lui. Désireuse ne pas le déranger plus que ça, Kahlùa quitta sa place près du bureau pour aller sur son coussin, s’y allongeant avec grâce tout en gardant un œil sur les blessés et sa moitié.
Cette dernière en était à estimer le degré de nervosité de son patient. De manière générale, personne n’aimait venir à l’infirmerie. Mais certains prenaient ça nettement mieux que d’autres. Quelques-uns y étaient même carrément allergique et ne voyait la zone médicale que comme une sorte d’enfer. Avec les flammes et la chaleur en moins. En ce qui concerne le diable … Tomoe pouvait s’en rapprocher de temps à autres. Elle allait classer le jeune homme dans la moyenne. Jusqu’au moment où il sursauta, l’effet provoquant un recul de ce dernier qui lui fit lâcher son poignet. Finalement, il serait classé avec 7 sur 10 sur l’échelle de la nervosité. Cela ne l’aurait pas dérangé outre mesure si son puma n’avait pas laissé échapper son mécontentement. Elle soupira doucement et regarda le daemon de ses yeux bleus. Elle ne lui en voulait pas non plus. Il était attaché à sa moitié, cela était plus que net. L’infirmière ne pouvait pas lui reprocher cela alors qu’elle savait très bien que Kahlùa aurait pu réagir de la même manière si les rôles avaient été inversés. Celle-ci, toujours sur son coussin s’était redressée pour fixer de nouveau l’autre félin. Hésitant sur le fait de revenir auprès de son amie, elle estima finalement qu’elle n’en avait pas besoin. Elle se contenta d’une transmission mentale au puma.

* Il est sûr que mon avis n’est probablement pas objectif et après tout, tu en feras ce que tu voudras mais … tu n’as pas à t’inquiéter, ton ami est entre de bonnes mains … *

Se recouchant, elle jeta un œil à sa moitié qui ne semblait pas vraiment tenir compte de l’intervention sonore du daemon. Le gratifiant d’un petit sourire, elle s’avança de nouveau vers le blessé en faisant rouler sa chaise tout en le regardant.

« Désolée, je ne voulais pas vous surprendre. »

C’était vrai, ce n’était pas son but de le faire réagir comme ça. Elle n’avait pas imaginé qu’il serait si nerveux. Tilt. Pourquoi n’y avait-elle pas pensé plus tôt ? Bien sûr, elle dépenserait de l’énergie en faisant cela, mais cela servirait aux deux … et puis, c’était juste le temps du soin … Tomoe se concentra rapidement puis elle utilisa un de ses pouvoirs : l’apaisement. Elle espérait bien que cela le détende ne serait-ce qu’un peu. Cependant, elle eut un doute sur ladite efficacité quand elle vit le regard qu’il lui adressa. Ses yeux bleus n’exprimèrent pourtant que de l’indifférence. Ce n’était pas la première fois qu’elle avait droit à ce genre de regard. Et à dire vrai, elle s’en moquait autant que de sa première perfusion. Malgré tout, elle appréciait l’effort qu’il fournissait à rester sagement sur place.
Reprenant son poignet avec la même douceur, Tomoe reprit son activité de retrait du bandage improvisé attendant en même temps la réponse à sa question sans pour autant quitter le vert de ses yeux. Elle fut surprise mais réprima un petit rire quand elle le vit détourner la tête en boudant à moitié. Mais elle ne retint pas son soupire quand, tout en la regardant, il lui annonça que c’était dû à une bouteille en verre. Elle avait toutes les chances, ou plutôt les risques, d’en retrouver des éclats dans la plaie. Tssss. Manquait plus que ça tiens. Elle n’écouta même pas la précision qu’il apportait et finit par lâcher le torchon au sol. Elle devait nettoyer de toute façon, alors un peu plus ou un peu moins.

« Et bien … la personne qui vous a fait ça ne vous a pas raté en tout cas … »

Et tout en regardant de plus près la plaie, elle put y voir des petits morceaux de verre incrustés. Nouveau soupire de sa part.

« Excusez-moi, cela risque d’être un peu plus long que prévu mais je vais faire au mieux. »

La jeune femme médecin relâcha le poignet tout en douceur tout en mettant fin à son pouvoir d’apaisement. Elle se leva de sa chaise pour se diriger vers un des placards près duquel elle s’accroupit avant de l’ouvrir. Elle en ressortit un contenant en métal ainsi qu’une longue pince fine. Refermant le placard avant de revenir s’assoir sans avoir oublié ses nouveaux instruments de tortures médicales, elle posa le récipient sur son bureau.

« Autant vous prévenir, la suite ne va pas être des plus agréable … »

Toujours avec la même douceur, elle prit de nouveau le poignet avec sa main gauche, tandis que de la droite, armée de la pince, elle commença à retirer les éclats. Bien évidemment, Tomoe avait de nouveau déclenché son pouvoir d’apaisement.

» Un beau matin... (pv)