{Achevé} Tiens ! Du monde ici ... [PV Rei]

Samedi matin. Réveil docile. Ouverture d’un œil, puis de l’autre. Verdict ? 9h21. Autant appeler ça une grasse matinée. Elle qui se levait toujours avant 8h, même en week-end … c’était changeant. Par habitude, Tomoe s’assit en tailleur dans son lit tout en gardant la couette jusqu’à la taille avant de s’étirer. Elle replaça par la suite sa nuisette, assortie d’un shorty, bleu nuit en soie qui était un peu remontée. Elle n’était pas du genre frileuse et de toute façon … il ne fait jamais froid sous une couette. Kahlùa, à l’image de son amie, opérait les mêmes actions, se réveillant tranquillement tout en se détendant, ses griffes grattant doucement le plancher.

* Bien dormi ma belle ?
* Au poil ! Et toi ?

La jeune femme regarda son daemon et ne put s’empêcher de sourire à sa réaction. Le terme était bien choisi pour un félin tel qu’elle.

* Tu sais bien que du moment que j’ai un matelas, un oreiller et une couette … je dors n’importe où …
* C’est vrai …

La caracal, dont la tête arrivait à hauteur du lit, jeta un petit coup d’œil au deuxième être humain qui se trouvait là.

* Et lui ?
* Dans la mesure où je n’ai pas fini par terre, c’est qu’il a passé au moins une nuit calme à défaut d’être réparatrice … on verra bien quand il se réveillera. De toute façon, ça commencera par un beau mal de crâne … Et son daemon, elle va bien ?
* Oui, pas d’incidents notables non plus donc …
* Tout est pour le mieux alors …
* Oui, je pense qu’on a évité le pire.

Tomoe se tourna alors vers l’homme qui se trouvait là, allongé dans son lit, à ses côtés, seulement vêtu d’un sous-vêtement. Un bel homme endormi. Qu’est-ce qui se serait passé si elle ne l’avait pas croisé par hasard en revenant ? Elle replaça une mèche de cheveux noirs de jais en soupirant doucement.

« Rei … qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire de toi hm ? »

Elle se doutait bien qu’un jardinier borgne du nom de Jake devait y être pour quelque chose, c’était même sûr. Mais elle n’avait pas plus de détails sur tout ça alors elle ne savait pas trop encore qu’en penser. Elle attendrait au moins que le dormeur s’enfile un tube d’aspirine avant de lui demander quoique ce soit. Et aussi qu’il soit prêt à lui répondre. Elle n’allait pas non plus lui soutirer les réponses. Techniquement, elle avait de quoi le faire. Mais ça n’aiderait pas le psychologue. Et c’est ce qu’elle voulait, l’aider.

Pour la première fois depuis un bon moment, le jeune homme se sentait en paix. Il ne savait pas trop ce qui lui arrivait mais il avait une impression de douceur et de chaleur humaine près de lui. Il savait que dans quelques temps, il devrait affronter la dure réalité et assumer ce qu’il s’était passé la nuit dernière mais pour l’instant, c’était beaucoup trop bon de rester sur ce petit nuage duveteux. Malheureusement, le destin en voulut autrement. Cet abruti qui lui avait fait rencontrer le jardinier, qui lui avait donné une vie de chiotte qu’il devrait consacrer aux autres venait de lui jouer un nouveau tour. Non… C’était trop facile de rejeter la faute sur les autres. Il plissa les yeux de toutes ses forces alors que la douleur commençait à l’envahir petit à petit.

Vicieusement, la dite douleur s’insinua petit à petit en lui, lui faisant comprendre avec un vif coup qu’il allait bientôt en mourir. Elle le picota petit à petit en augmentant son intensité et le força bientôt à sortir de ses rêves parce qu’elle devenait beaucoup trop insupportable.
Rei émergea avec une violence imaginable. Il balança la couette au fond du lit et se releva immédiatement, sans prendre le temps d’ouvrir correctement les yeux. Il se prit les pieds dans quelque chose qui ressemblait vaguement à un tapis ou peut-être qu’il se fit un croche-patte à lui-même. En tout cas, il se sentit basculer en avant. C’est donc en rattrapant la situation de justesse qui se laissa chuter en arrière et qu’il s’assit sur le lit.

Sa tête tournait à toute vitesse, le sang n’avait pas eut le temps d’oxygéner assez son cerveau et c’était certainement pour ça qu’il avait perdu son équilibre. La sensation s’ajouta à son mal de crâne qui devenait maintenant de plus en plus insupportable et c’est dans un râle pathétique qu’il lâcha :

« Oh… Pitié, achevez-moi… J’en peux plus, j’ai l’impression qu’un nain du Népal frappe à coup de massue sur ce qu’il me reste de bouillie de cerveau… »

En effet, c’était à peu près ce qu’il ressentait à ce moment-là. Il se posa une main brûlante sur son front et il eut l’impression de se brûler tellement celui-ci était chaud. Ouvrant doucement les yeux, il essaya de s’habituer au fur et à mesure à la lumière qui inondait la chambre et il se rendit finalement compte qu’il n’était pas chez lui. Un juron en français ne tarda pas à sortir de l’enclos de ses lèvres :

« Oh merde… »

Plus il observait l’endroit, plus il trouvait que cela ressemblait à une chambre d’étudiant du lycée où il bossait. Maintenant complètement paniqué, il réussit à en oublier sa douleur pour gémir :

« Oh non… Ne me dites pas que j’ai fait ça… »

Par ça, il voulait bien entendu parler de fricoter avec un des étudiants de son établissement. Si jamais on l’apprenait, il serait viré et il irait en prison. Rei ne comptait absolument pas se retrouver derrière les barreaux. Il imaginait déjà le scénario, la petite bouille innocente qui commençait à lui faire du chantage ou pire, qui le dénonçait directement au directeur. Les flics qui débarquaient dans la minute à suivre et… Un petit cri paniqué sortit de ses lèvres. Il savait très bien ce que l’on faisait aux pédophiles dans les prisons françaises, il avait bien peur que cela soit la même chose, même chez les nains bridés.
C’est à ce moment-là qu’il l’aperçue. Tomoe Ukita, médecin scolaire et une de ses collègues avec qui il travaillait presque toujours. Il poussa un long soupire de soulagement avant de lui dire avec un air pathétique :

« Ah Tomoe, ce n’est que toi… »

Brusquement, il comprit :

« Ne me dis pas que c'est avec toi que… »

Il avait échappé au pire, ce n’était pas si grave, non ? Mais c’était quand même une de ses collègues et il avait apprit à ne plus recommencer à faire ce genre de choses avec eux. Décidemment, tout le monde y passait avec lui. Il s’était promis de ne rien faire lorsqu’il était arrivé au Japon et il avait déjà une petite liste qui se profilait : Tomoe, Mael, Jake…
Jake. Oui, c’est vrai. Jake était partit. Il l’avait oublié, ça…
Son air s’attrista alors qu’il fixait le sol en repensant à son amant d’une nuit qui s’était bien moqué de lui. Bon sang, il avait réussit à l’oublier une nuit entière, il l’avait presque sortit complètement de sa tête et voilà que cet abruti arrivait de nouveau à faire surface. Il haïssait ce borgne… Il le haïssait mais qu’est-ce qu’il voulait le revoir… Juste pour lui casser la gueule. Et aussi l’embrasser. Et lui recasser la gueule. Et l’embrasser de nouveau. Que c’était pathétique lorsqu’un Dom Juan se transformait en midinette. Il se passa une main dans les cheveux pour dégager des mèches de cheveux et la douleur réapparut dans une nouvelle vague plus puissante que les précédentes.

Bon sang ! Il l’avait oubliée aussi celle-là. Elle venait par vagues la vicieuse. Il se plia en deux et lâcha un minuscule gémissement avant de supplier la jolie demoiselle :

« T’aurais pas de l’aspirine, s’il-te-plait ? »

Quel état pathétique… Rei était dégoûté par lui-même. Il était descendu bien bas à cause d’un homme. Il se jura mentalement de se venger contre toute l’espèce masculine. Ou pas… Il savait très bien qu’il ne tiendrait jamais cet engagement et que la nuit prochaine, il serait déjà dans les bras d’une autre personne…

Sans avoir le temps de dire quoi que ce soit, Tomoe vit sa propre couette se voir envoyer à l’autre bout de son lit et Rei qui se levait à la suite. Grossière erreur de sa part. Mais il s’en rendrait compte tout seul bien assez tôt. Genre tout de suite. Elle secoua doucement la tête quand elle le vit se rassoir. Normal, le sang n’avait pas eu le temps de faire son boulot puis il avait afflué trop vite. Tsss … Personne de censé ne se lève si vite. Mais bon, vu les événements, elle pouvait bien l’en excuser. Ses yeux bleus ne le quittaient pas et elle l’écoutait silencieusement. Il constaterait sa présence en temps voulu.

* Je crois que c’est plus qu’un tube qu’il va lui falloir là …
* Possible mais j’ai la malle dans la salle de bain de toute façon … je pourrais soigner 3 fois l’établissement avec ce que j’ai dedans.

Sa petite malle. Enfin, petite petite … pas tant que ça. Voir pas du tout en fait. C'était plutôt une pharmacie ambulante. Cette dernière contenant de tout. Les choses basiques comme aspirine, sirops, vitamines mais aussi de quoi agir d’urgence comme des bandages, du désinfectant et autres matériels semblables. Mais le petit secret, c’était les différents médicaments que la demoiselle réussissait à obtenir alors qu’ils n’étaient pas encore sur le marché. Non pas qu’ils soient illégaux. Ils étaient parfaitement établis et autorisés par la Santé Publique. Juste pas encore commercialisés. Le statut de son père et le fait qu’un de ses meilleurs amis soit chercheur dans son monde lui apportaient pas mal de privilèges. Mais elle ne s’en ventait pas et ne servait desdits médicaments qu’en cas d’urgence.

Quand son dormeur commença à déblatérer des âneries sur ce qu’il pouvait avoir fait, elle secoua la tête doucement. S’il avait reconnu la chambre comme étant l’une de l’internat, elle supposait qu’il pensait avoir eu une … distraction avec un élève. Ce qui n’était pas le cas. Elle était de majeure et vaccinée. Et de toute façon, il … Un cri de la part dudit dormeur la coupa dans ses extrapolations.
Il l’avait donc remarquée. Pas trop tôt. Enfin … il était enfin réveillé, à peu près en tout cas, elle ne pouvait guère plus lui en demander plus pour le moment. Un petit rire cristallin lui échappa quand il décréta que ce n’était qu’elle.

« Tu pourrais limite être vexant quand tu dis ça tu sais … »

Mais juste limite, elle s’en moquait royalement. L’avis des autres avait tendance à lui passer largement au-dessus alors … hormis quelques exceptions bien sûr. Elle le laissa parler, souriant en entendant son hypothèse. L’infirmière, elle, savait très bien ce qu’il s’était passé. Mais comme le jeune homme semblait de nouveau dans ses pensées, elle ne l’interrompit pas, gardant la réponse pour plus tard.
Elle ne put s’empêcher de sourire à sa demande. Elle embrassa doucement sa tempe avant de se lever gaiement, fraiche comme une rose et en pleine forme.

« Bien sûr que j’ai de l’aspirine, tu oublies à qui tu parles Rei … »

Passant dans la salle de bain, elle ouvrit sa malle pour en sortir un … puis finalement deux tubes d’aspirine qu’elle posa sur l’étagère. Agilement, elle attrapa un verre qu’elle remplit au trois-quarts d’eau avant de reprendre en main les tubes. Puis elle revint dans la chambre, posant un tube sur la table de nuit avant de tendre le deuxième et le verre au psychologue.

« Tiens, voilà pour toi … et en tant que médecin, je te conseillerai une autre nuit de repos. Ça ne sera pas de trop … »

La jeune femme se rassit en tailleur sur le lit à ses côtés tout en le regardant quand il eut attrapé son remède matinal. Elle reprit la parole en souriant.

« Autrement, je ne te dirais donc pas que c’est avec moi que. Puisque de toute façon, ce n’est pas le cas. Il ne s’est rien passé de ce … genre-là si tu veux le savoir. Tu as dormi avec moi. Mais c'est tout. »

Non pas qu’elle ait quelque chose contre le contraire. Ce n’était pas une sainte et elle n’avait pas fait vœu d’abstinence tant qu’elle n’aurait pas trouvé son âme sœur. Mais là c’était différent. C’était un collègue et ami. Elle l’estimait trop pour faire ça. Surtout maintenant. Ce ne l’aurait pas aidé non plus.
En tapotant la couette, elle invita Kahlùa à y monter et cette dernière ne fit pas prier, s’installant convenablement, posant sa tête sur les genoux de Tomoe qui la lui caressa doucement.

« Tu te souviens de quelque chose par rapport à hier ? Ou c’est le néant total et tu as besoin d’un coup de main pour remettre les morceaux de puzzle dans le bon sens ? »

Lorsqu’il se rendit compte qu’elle était là, elle se mit à rire en déclarant que sa réaction aurait pu être vexante. Gêné, il n’avait absolument pas voulu lui faire de mal, il se sentit légèrement rougir mais préféra garder le silence, ne voulant pas s’enfoncer encore plus. Il se laissa embrasser à la tempe, les lèvres fraîches lui firent un peu de bien et il ferma les yeux pour profiter du baiser. Le psychologue se doutait bien qu’il devait être dans un piteux état en cet instant-là, il en avait d’ailleurs honte.
Il lui demanda de l’aspirine et il la regarda partir à la recherche des médicaments. Bien sûr qu’il savait qu’elle en avait, il la connaissait bien et il savait qu’elle emmenait constamment sa trousse de secours sur elle, au cas où elle tomberait sur un malade dans la rue. Il s’était d’ailleurs déjà moqué gentiment d’elle pour ça mais aujourd’hui, il lui en était reconnaissant plus que jamais. Il prit le verre d’eau qu’elle lui tendait, écouta ses conseils et observa le tube d’aspirine. Il avait vu qu’elle en avait posé un second à côté et s’il s’écoutait, il en avalerait le contenu entier. Mais peut-être est-ce que cela ne serait pas conseillé…

Le psychologue était du genre prudent avec les médicaments, il savait le désastre qu’ils pouvaient engendrer et il était plutôt fragile à ce niveau-là. Il plissa les yeux pour essayer de lire ce qu’il y avait marqué dessus mais ses yeux étaient beaucoup trop ensommeillés pour pouvoir apercevoir quoi que ce soit. Il haussa donc les épaules, signe qu’il capitulait et absorba la moitié du tube avant de prendre de l’eau pour faire passer le tout.
Il referma sagement le tube et le posa à côté, sur la table de nuit, avec le verre vide. Il murmura :

« Merci… »

Rei s’aperçut alors que Tomoe s’était assise à côté de lui et qu’elle le regardait. Elle se mit à lui parler en lui racontant qu’il ne s’était rien passé entre eux deux. Un soupire de soulagement filtra dans l’enclos de ses lèvres et il se sentit légèrement rougir, de nouveau, lorsqu’il s’en rendit compte.
Nerveusement, il entortilla un doigt dans une de ses mèches de cheveux et il déclara :

« Ce n’est pas contre toi, hein… Mais… Avec une collègue… Ça n’apporte jamais rien de bon. »

Il baissa le regard et se sentit plutôt piteux lorsque l’image de Jake s’imposa en lui. Quel idiot… Ne jamais pouvoir oublier un simple nom sur un tableau de chasse. Un simple nom, hein… Il ne voulait toujours pas s’avouer qu’il aimait cet homme à la folie, qu’il l’aimait à en mourir et qu’il venait piteusement de se faire utiliser comme simple jouet sexuel.
Sa main se serra et Minimiou vint sur ses genoux en la léchant, espérant lui remonter un peu le morale. Elle voyait bien son maître n’était pas au meilleur de sa forme mais elle était totalement impuissante et elle ne savait que faire pour le soulager. La chatte se contentait donc de le surveiller du mieux qu’elle pouvait.

Rei entendit que le médecin scolaire tentait de l’aider à se souvenir de ce qu’il s’était passé la veille. C’est donc péniblement qu’il tenta de se mettre à réfléchir. Minimiou savait exactement ce qu’il s’était passé mais elle préférait le laisser chercher seul et elle l’observa de ses grands yeux calmes. Pour le psychologue, tout était flou mais il se souvenait de quelques passages dont il fit part à Tomoe :

« Je suis allé au bar… J’ai bu un verre ou deux… En fait, plus. J’ai perdu la notion au bout d’un moment… Je ne sais pas trop ce que je cherchais mais il me manquait quelque chose et j’essayais de le combler… Et… Tout est devenu flou. J’ai… J’avais une paire d’imbéciles qui me suivaient partout et j’ai voulu m’en débarrasser en partant. Et tout est devenu noir. Je me suis réveillé ici. »

En fait, tout n’était qu’une succession de petits épisodes dont il se souvenait plus ou moins. Minimiou savait qu’il avait à peu près résumé la soirée à l’exception de quelques détails comme le moment où il avait erré désespérément en appelant le nom de Jake et qu’il s’était enfin calmé lorsqu’il était arrivé dans les environs du médecin scolaire. Qu’il ne l’avait pas reconnu au début pour finalement se laisser tomber dans ses bras, au bord des larmes. Et tout un tas d’autres évènements du même genre. Son maître avait totalement été désespéré et il avait compté sur l’alcool pour le soulager un peu. Et bah il avait gagné le gros lot, là !

« Je t’en prie. »

Alors qu’elle caressait toujours Kahlùa, Rei laissa échapper un soupir de soulagement lorsqu’elle dit qu’il ne s’était rien déroulé pendant la nuit. Encore une fois, Tomoe ne put s’empêcher de rire doucement et décida de le taquiner un peu.

« Je ne me pensais pas si laide pourtant … »

C’était ce qu’en tout cas, elle pensait en se regardant dans le miroir. Ses meilleurs amis ne lui avaient jamais dit le contraire non plus. Elle pouvait ce qu’elle voulait et elle se sentait bien dans sa peau … elle n’allait pas s’en plaindre. L’infirmière vit bien que le psychologue rougissait légèrement quand il comprit ce qu’il venait de dire mais n’en fit rien. Ses excuses la firent sourire. Elle le regarda en lui offrant ce même sourire et le regard amusé.

« Non mais sérieusement, ne t’en fais pas pour ça, je pense que j’aurai pu réagir de la même manière … »

Même si la jeune femme n’avait rien contre le sexe en lui-même, le faire avec un collègue, Rei qui plus est, comportait plusieurs risques qu’elle ne souhaitait pas forcément prendre. La possibilité de ne plus se supporter après en faisait partie et puisqu’elle travaillait assez souvent avec lui, ce fait serait relativement dérangeant. Pour eux deux. Alors autant éviter ça.
Par contre, être dans le même état que lui après avoir bu … là, il fallait y aller. Non pas qu’elle était alcoolique, mais Tomoe faisait partie du nombre restreint de gens qui tiennent très bien l’alcool. Elle n’était pas du genre à danser sur la table et à débiter un flot incessant d’âneries. Personne n’avait eu la primeur de la voir dans cet état. Que ce soit ses parents, ses frères ou ses amis. De façon générale, c’était elle qui conduisait pour raccompagner tout le monde. Ce dont tout le monde la remerciait. C’était aussi elle qui prenait les photos et faisait des petits dossiers qu’elle ne montrait qu’aux concernés. Etrangement, ils la remerciaient aussi … parce que voir lesdites photos provoquaient bien souvent de bons fous rires.

Quand il baissa le regard, elle tendit la main pour effleurer doucement son avant-bras avant de la poser dessus. Elle était peinée pour lui et frustrée de ne pas pouvoir vraiment l’aider. Seul le temps serait son véritable allié.
Elle l’écouta avec attention, ce qui lui disait complétant ce qu’elle savait à partir du moment où elle était tombée sur lui dans la rue en sortant du cinéma et qu’elle se dirigeait vers sa voiture. Qu’il avait bu … ça elle l’avait remarqué. C’était aussi visible que le nez au milieu de la figure. La démarche hésitante et une élocution plus qu’incompréhensible étaient des signes qui ne trompaient pas. Il s’était laissé tomber dans ses bras et elle l’avait réceptionné tant bien que mal, manquant de perdre l’équilibre. Elle avait réussi par la suite, non sans mal, à le faire aller jusqu’à sa voiture et à l’y faire assoir. Le trajet s’était déroulé sans accroc notable. Le transfert entre la voiture et sa chambre aussi. Il avait été plutôt docile. Une chance pour elle. Tomoe l’avait déshabillé et couché sans qu’il ne fasse d’histoire.
Elle opta pour lui faire une version courte, les souvenirs lui reviendraient petit à petit.

« Tu n’as pas raté grand-chose … pour résumer, je t’ai récupéré dans la rue avant de te raccompagner. Tu as été adorable de ne pas vomir dans ma voiture d’ailleurs. En arrivant ici, j’ai pris la liberté de te déshabiller avant de t’aider à te coucher. J’espère que tu ne m’en tiendras pas rigueur … »

Après tout, même si elle avait agi dans son intérêt, il pouvait très bien désapprouver son geste. Elle n’avait pas retiré sa main de son avant-bras sur lequel elle exerça une pression douce et légère avant de reprendre ce qu’il avait dit.

« Quant au manque que tu essayes de combler … je pense qu’il s’agit du vide causé par son départ … »

Elle ne voulait pas prononcer son nom. Il était trop tôt, bien trop tôt. Et sans le dire, il comprendrait très bien de qui elle voulait parler. Elle demanda mentalement à Kahlùa de se pousser et cette dernière se frotta contre son bras avant de descendre du lit avant de rejoindre son coussin pour y faire sa toilette.
La jeune femme s’assit en seiza sur son lit avant de prendre la main de Rei dans la sienne.

« Ecoute … je sais que c’est déjà et que ça va continuer d’être dur mais si tu as besoin, tu n’hésites pas, d’accord ? »

Oui, la phrase pouvait paraître simpliste au vu de la situation. Mais avait-elle quelque chose de plus pertinent à dire ? Non. Elle considérait Rei comme un ami et tout ce qu’elle pouvait faire actuellement, c’est d’être là pour lui.

Tomoe lui toucha le bras dans un accès de compassion. En temps normal, il ne supportait pas la compassion des autres, c’était quelque chose d’atroce pour un homme que de se faire regarder de haut. Mais à cause de son état plus que piteux, il ne pouvait que lui en être reconnaissant. Il avait besoin d’attention et elle était là pour lui offrir tout ce dont il avait besoin. Elle lui raconta comment s’était passé la suite des choses. Apparemment, elle l’avait rencontré dans la rue, l’avait ramené et l’avait déshabillé avant de le coucher. Il ne s’était donc rien passé, elle ne précisa pas s’il avait fait quelque chose de bizarre ou non et il lui en fut reconnaissant. Il aurait été tellement gêné si elle lui avait fait le récit d’un de ses exploits qu’il n’aurait certainement pas pu la fixer de nouveau dans les yeux avant un bon moment.

Elle serra son bras tout en lui rappelant son départ. Il remarqua qu’elle avait eut la délicatesse de ne pas prononcer son nom, ça aurait été trop dur à supporter. Le jeune homme sourit, ce n’était même pas une spécialiste qui s’occupait de lui mais un médecin scolaire. Ce n’était pas à elle d’exercer son métier. Elle était trop bonne avec lui.
Son mal de tête diminuait petit à petit et il devint rapidement supportable. Elle lui prit la main tout en lui disant qu’elle serait là pour lui. Il apprécia une nouvelle fois l’attention. Il lui sourit doucement et se pencha vers elle pour lui déposer un baiser sur la joue. Il se releva, avant de sourire une nouvelle fois. Il expliqua :

« Dans mon pays, on embrasse sur la joue pour remercier. »

Rei serra à son tour sa main et la fixa. Lorsqu’une personne avait un contact avec lui, il avait l’impression que pendant un court instant, le manque qu’il ressentait s’estompait. La douleur disparaissait et il se sentait en paix. Son sourire fut donc sincère. Il déclara :

« Merci beaucoup Tomoe, j’apprécie l’attention que tu me portes. Mais ne t’inquiètes pas, j’ai déjà des spécialistes qui me suivent et je pourrais avoir l’aide nécessaire. »

Son sourire devint un peu triste et il continua :

« Donc tu es au courant… J’ignorais que tu le connaissais réellement… J’ignorais également que notre relation était connue des autres. Maintenant qu’il est partit, j’ai l’impression d’en apprendre de plus en plus, dit donc… »

Il lâcha doucement sa main et perdit un instant son regard dans le vague avant de s’excuser :

« Je suis désolé de m’être imposé comme ça. Je ne devrais pas faire autant preuve de faiblesse au point de me laisser prendre en charge par les autres. »

Oui, il ne pouvait se laisser porter par la vague et se laisser tomber. Les autres n’avaient pas à porter sa douleur et à assumer pour lui. Il avait déjà connut ce genre de situation plus tôt, lorsqu’il était jeune, il avait déjà énormément souffert et en aucun cas, il n’aurait laissé quelqu’un d’autre prendre sa douleur. Aujourd’hui, cela devrait être pareil. Il souffrait à cause de ceux qu’il aimait, la douleur était la même. Puissante, amère, glacée et vicieuse, elle s’amusait à déchirer son cœur en mille morceaux avant de les piétiner avec dureté.
Rei ne devait pas se laisser abattre, la vie continuait. Avec ou sans lui, elle continuerait et jusqu’à ce qu’il meurt d’une autre main que de la sienne, il devrait continuer à vivre la vie. Même si ça faisait mal, même si c’était dur. La vie était ainsi et c’était pour ça qu’elle était merveilleuse.
Le jeune homme se releva avant de dire :

« Bon… Tu veux que je t’aide à quelque chose en échange ? Je t’en dois une, Tomoe. Je te dois une faveur et je te la rembourserai, peu importe la manière. »

Un regard ampli de défi s’inscrivit sur son visage. Il devait se reprendre en main.

Tomoe fut satisfaite de le voir sourire ne serait-ce qu’un peu. C’était déjà un bon début et il fallait bien commencer par quelque chose. Quand il se pencha vers elle, elle se demandait bien ce qu’il allait faire. Elle ne s’attendait pas à ce qu’il l’embrasse. Elle n’en avait pas l’habitude. Pas de sa part en tout cas. Mais elle trouvait le contact toujours aussi doux et agréable.
Les hommes qui l’embrassaient de la sorte … il n’y en avait que très peu : Sôseki, son père, Kaemon et Iwao, ses frères ainés ainsi que ses trois meilleurs amis, Kyoya, Danny et Eiri bien évidemment. Kyoya plus souvent et de façon plus joueuse que les autres. Ils s’en amusaient tous les deux. Mais c’était tout. Elle ne laissait personne d’autre faire. Là, Rei l’avait un peu prise au dépourvu. Néanmoins, elle ne s’en offusquait pas du tout. C’était un collègue et ami. Alors elle laisserait passer sans rien dire. Elle sourit doucement de son explication. Même si elle n’en avait pas eu besoin pour comprendre. Un des jeunes hommes qui comptaient beaucoup pour elle, Danny, était d’origine américaine et il lui arrivait souvent de faire ça aussi pour la remercier. Ou même sans raison d’ailleurs.
L’infirmière fut également ravie qu’il lui réponde par une simple pression. C’était aussi un premier pas en avant.

« Je t’en prie. Tu ferais la même chose si les rôles étaient inversés non ? Et puis, ce n’est pas que je m’inquiète vraiment … enfin, pas tant que ça. »

Elle se considérait comme son amie et elle réagissait en conséquence. C’est tout. Elle n’avait aucun doute sur les compétences des spécialistes mentionnés. Alors elle s’en ferait peut-être un peu moins pour lui.

« Au courant … plus ou moins. Il suffisait de te voir quand tu mentionnais son nom ou quand on le croisait. Tes yeux brillaient et ton sourire s’illuminait. Ce n’était pas très dur à deviner … mais c’est peut-être parce que je te connais un peu. Je ne suis pas convaincue que tout le monde ait fait le lien. Et je ne le connaissais pas réellement. C’était juste un collègue. Il nous est arrivé d’aller boire un verre mais rien de plus. »

Même si elle aurait bien aimé garder sa main un peu plus longtemps, elle ne dit rien quand il la lâcha et ne chercha pas à la reprendre.

« Arrête Rei … tu n’as pas à t’excuser. Absolument pas. Je t’assure que ce n’est pas la peine. Les faiblesses, on en a tous et tu n’es pas pris en charge de toute façon. J’aide un ami. C’est tout. Ni plus ni moins. »

Tomoe regardait les améthystes mais c’est dans le bleu de ses yeux qu’on pouvait lire l’étonnement.

« Que tu m’aides … en échange ? »

Elle ne comprenait pas. Il lui refaisait le principe de l’échange équivalent ou quoi ? La jeune femme ne lui demandait rien. Elle n’aidait pas les autres pour recevoir quelque chose. Elle l’aidait parce qu’elle aimait le faire. Rien de plus, rien de moins. Peu importe la richesse, les idéaux, l’origine ou la croyance … cela n’entrait pas en compte pour elle. Chaque être humain, quel qu’il soit, devait être aidé, médicalement, quand il en avait besoin. Même le pire des criminels. Lui aussi était de le fils de quelqu’un qui souhaitait son rétablissement. Généralement, elle ne soignait que les corps. C’était sa spécialité. Et non les cœurs. La seule exception qu’elle faisait à cette règle, c’était quand un ami était concerné. Comme maintenant avec Rei. Le regardant, Tomoe secoua la tête doucement.

« Tu ne me dois rien. Ni faveur, ni remboursement de quoi que ce soit. Je t’aide parce que j’en ai envie et que je ne veux pas te voir rester comme ça. Ce que je veux vraiment, c’est que tu te ressaisisses et que tu essayes de ne pas rester bloquer sur cet événement de ta vie. Ça ne te servirait pas. Il faut aller de l’avant même si cela est nettement plus dur. Ce que je veux, c’est que tu continues à aimer la vie malgré ça … »

Elle se pencha et embrassa son front avec douceur. Il lui faudrait du temps pour y arriver. Mais elle savait qu’il en était capable. Même si ce n’était que modestement, elle ferait ce qu’elle peut pour l’aider à y parvenir. Elle s’étira avant de se lever, replaçant sa nuisette rapidement. Ils n’allaient pas rester sur ce lit toute la journée non plus. Un peu d’air leur ferait du bien. Enfin, à lui surtout. Estimant le sujet des remerciements clos, elle reprit.

« Normalement c’est tai-chi et autres étirements le matin mais on va les oublier pour aujourd’hui. Mais un petit-déj et une petite balade à pied pour te faire prendre l’air, ça te dit ? A moins que tu ne veuilles retourner sous ma couette que tu as gentiment envoyée à l’autre bout ? »

Elle avait achevé sa phrase en riant doucement, un petit sourire en coin, attendant sa réponse.

Bien sûr qu’il aurait fait la même chose pour elle, Rei considérait cette femme comme son amie et de toute façon, il ne pouvait ignorer ses proches lorsque ceux-ci étaient dans le besoin. Elle lui dit qu’elle avait deviné ce qu’il y avait entre eux deux parce que l’amour que portait le psychologue envers son jardinier préféré était parfaitement visible sur son visage.
Lorsqu’elle lui expliquait comment elle avait compris, le jeune homme baissait le regard. Il se sentait vraiment mal et la douleur transperçait son cœur. Comment passer par-dessus cet évènement ? Il ne pouvait l’ignorer. Il avait vu à quel point l’amour faisait mal sur sa mère et au moment où il souhaitait tout de même donner une place à ce fameux amour, cette chose cruelle le blessait. Il n’arrivait pas à s’en remettre, non, l’amour était beaucoup trop dangereux. Il devrait désormais s’en passer à tout prix. Il haïssait l’amour, il haïssait ces tourtereaux, il haïssait Jake et surtout, il se haïssait lui-même.

Son poing se serra sur son genou. Il était hors de lui et il avait envie de hurler, de hurler de toutes ses forces pour exprimer la douleur qui l’opprimait. Mais c’était impossible.
Il se contenta de rester silencieux. Il devrait surmonter tout cela. Tomoe lui demanda d’arrêter de s’excuser. Le psychologue comprenait lorsqu’elle lui disait que son comportement était naturel mais pourtant, c’était plus fort que lui.
Rei remarqua qu’elle était choquée lorsqu’il lui demanda ce qu’elle voulait en échange. Il avait toujours été comme ça et il n’avait pas pensé que cela l’affecterait. Elle ne comprenait pas, elle lui disait qu’il ne lui devait rien. Elle n’arrivait pas à saisir sa façon de fonctionner, façon de fonctionner typiquement masculine.

Il se laissa embrasser le front et pendant qu’elle se levait en s’étirant, il tenta de lui expliquer pourquoi il tenait à tout prix à lui rembourser sa faveur :

« Je sais que ça peut te paraître stupide, Tomoe. Ce serait presque comme un marché aux services mais sache qu’il est dans la nature de l’homme, ou plutôt dans sa stupide fierté, de ne pas vouloir avoir le sentiment de devoir quelque chose à quelqu’un. C’est un peu comme si je me retrouvais en position de faiblesse et… C’est réellement vexant. Promets-moi alors de t’offrir un verre pour te remercier, ou d’être là si jamais tu as besoin d’aide. »

Le psychologue ne savait pas si la demoiselle comprendrait malgré ses explications. Il savait qu’elle était plutôt de nature butée et qu’une fois qu’elle s’était mis quelque chose dans la tête, rien ne pourrait la résoudre à changer d’avis. Pourtant, pour lui, c’était vraiment important. Il avait toujours été très gêné dans ce genre de situation et il se sentirait mal-à-l’aise s’il ne pouvait lui rembourser son dû. C’était un peu comme ces pays qui s’offraient toujours des cadeaux de plus en plus luxueux pour ne pas perdre la face, face à l’autre. Stupidité de l’humain spécifique à l’homme. La nature délicate de la femme n’était pas du genre à faire ce genre de choses, à réfléchir de cette manière et donc à la comprendre. Il espéra qu’elle puisse se montrer compréhensive malgré tout et c’est un regard suppliant qu’il fixa sur elle.

Elle lui parla alors de la suite des évènements. Une nouvelle journée s’annonçait et il ne tenait pas à rester dormir. Non, il ne voulait pas retourner dans ses rêves hantés par cet homme. Il ne voulait pas être prisonnier de ses griffes sans pouvoir se réveiller. Il devait donc péniblement assumer de nouveau cette journée, puis se préparer à la dure nuit pour ensuite vivre une autre journée tout aussi pénible. Jusqu’à… Jusqu’à quoi ? Jusqu’à ce qu’il trouve peut-être la vie moins pénible, ou peut-être jusqu’à ce qu’il meurt, tout simplement.

Il se rappela de sa mère. Sa mère qui avait prit tellement de temps pour cicatriser. Sa pauvre et fragile mère qui n’avait pu bouger à la suite de la nouvelle de son mari qui la quittait. Lui, il avait été plus fort. Ou peut-être pas. Elle, elle s’était accordé une pause. Une longue pause pendant laquelle elle avait expulsé toute sa tristesse. Et puis un jour, elle s’était relevée. Plus belle et plus forte que jamais. Et elle lui avait offert l’un de ses plus beaux sourires avant de continuer à vivre. Rei avait toujours admiré sa mère, c’était l’exemple de la force. Il n’aurait jamais pu être comme elle, il n’arrivait pas à affronter les difficultés avec la tête haute comme elle. Pourtant, il avait essayé. Il s’était construit une situation stable, il avait tout fait pour ne jamais s’attacher et il avait été le plus détestable possible. Et au fond de lui, il n’aimait pas faire mal aux autres, il n’aimait pas savoir qu’on puisse le détester. Et il ne pouvait supporter le fait de voir les autres malheureux autour de lui. Pathétique bourreau.

Il ouvrit la bouche, un petit sourire plaqué sur le visage. Un de ses sourires habituels, tellement artificiel et pourtant quotidien qu’on ne pouvait finalement que le trouver naturel. C’était par habitude, par accoutumance. Oui, il avait toujours été comme ça. Apparence artificielle qui ne changeait jamais et qui finalement devenait naturelle aux yeux de tous. Il déclara :

« Un peu d’air ne me fera que du bien. Mais… Pourrais-tu me prêter ta douche, s’il-te-plait ? Il faut à tout prix que je me rafraîchisse les idées. »

La douleur se répartissait partout dans son corps. Son cœur, sa tête, ses muscles endoloris. Il avait besoin d’une bonne douche pour soulager un peu tout ça. Il se leva et attendit simplement la suite.

Debout à proximité du lit, Tomoe l’avait écouté se justifier par rapport à sa demande d’égalité de services. Soit. Elle le regardait en croisant les bras passant outre le regard suppliant qu’il lui avait adressé. Ce genre de chose avait tendance à avoir l’effet contraire sur elle.

« Oui, effectivement, je trouve ça parfaitement stupide. Il n’y a que les hommes pour penser comme ça … Néanmoins, j’arrive à comprendre ton point de vue sur la question. Donc, j’accepte un verre et on sera quitte. »

Pour cette fois-ci, elle acceptait de s’assoir à moitié sur ses principes. Elle sentait que Rei n’en démordrait pas et qu’il serait contre-productif de lui refuser cette demande. Alors autant y accéder. Et accepter un verre, ce n’était pas plus la mer à boire. Loin de là. Et puis, sortir du pensionnat serait une façon de lui aérer un peu les idées. L’espérait-elle en tout cas.

Sans avoir bougé, elle le regardait avec douceur attendant qu’il valide les activités qu’elle avait proposées. La marche à pied … s’il n’en voulait pas, tanpis. Mais le petit-déjeuner … le repas le plus important de la journée ! Impossible qu’elle y coupe. C’était une des choses qu’elle préférait le matin. Elle n’était pas la seule. Toute sa famille était comme ça. Ou elle comme eux. Une de leur activité favorite ? Préparer, puis manger évidement, le petit-déjeuner du dimanche matin. Et continental. Chocolat ou café, jus de fruits divers et variés, tartines beurrées. Avec du pain frais s’il vous plait ! C’était Hisae, sa mère, qui le faisait. Elle était équipée pour. Le pain était encore tout chaud quand ils le dévoraient. Un vrai délice. Tomoe en souriait rien que d’y penser.

* Arrête, tu vas me donner faim …
* Trop tard en ce qui me concerne !

Toutes les deux riaient mentalement, se souvenant de la bonne odeur qui se répandait dans la cuisine familiale dans ces moments-là. Elle avait beau avoir 26 ans et ne plus vivre chez ses parents depuis 8 ans à peu près maintenant … le petit-déjeuner du dimanche matin lui manquait. Suivant ses pensées, la caracal intervint.

* D’ailleurs, on les revoit quand ?
* Je ne sais pas. Quand je pourrais prendre un week-end ou des vacances … mais promis, on retournera bientôt à Tokyo.

Toute sa famille était là-bas. Et son groupe d’amis aussi. Hormis sa mère, qui était la PDG d’une entreprise de prêt-à-porter et ses deux frères qui étaient architecte et ingénieur informatique … tous travaillaient dans un des deux hôpitaux de Tokyo Daigaku ou Todai pour les intimes. En fait, la jeune femme est la seule qui avait choisi un autre chemin, prenant celui-ci à contre-courant. En ce qui concerne son père, cela faisait des années qu’il y travaillait mais ses amis avaient tous choisi d’aller là-bas pour des raisons plus ou moins semblables. En ce qui concernait Kyoya, Danny et Nuwä, c’était pour rester à Tokyo. Pour Eiri, c’est parce que les hôpitaux de l’Université disposaient de financements et contrats importants qui lui permettait de faire des recherches plus conséquentes.
Alors qu’elle était sortie major de sa promo, Tomoe avait opté pour un choix plus simpliste en le poste de médecin scolaire dans le lycée où elle avait fait ses études. Même si elle aurait apprécié de travailler avec ses amis, il va s’en dire, elle ne voulait pas être comparée à son père. Elle se moquait de ce que les autres pouvaient bien penser mais elle voulait construire sa propre carrière sans être assimilée à lui tout le temps.

Elle regarda Rei qui était toujours assis sur le lit, lui demandant un accès à la salle de bain. Elle lui adressa un petit signe de la main signifiant qu’il n’avait même pas besoin de poser la question tout en lui répondant.

« Bien sûr que tu peux m’emprunter ma douche, je pense qu’elle sera d’accord ! Je vais te sortir des serviettes. »

Elle lui sourit en hochant doucement la tête avant de passer dans sa salle de bain. Qui était impeccable. Pas un cheveu dans le lavabo ou l’écoulement de la douche, pas une trace de doigt sur le miroir, pas un résidu sur la mosaïque blanche et noire. Pas un savon, un shampooing qui dépasse. Pas un vernis, une brosse, une pince en dehors des placards et étagères. Rien. Absolument rien. Hiiiii ! Une maniaque. Mais naaaaan. Bon, un peu sur les bords. Et au milieu aussi à bien y réfléchir. Elle n’aimait pas le désordre. On ne pouvait pas la blâmer pour ça. Pour elle, la salle de bain était le lieu où le corps regagnait sa propreté. La pièce devait être donc dans le même état. D’où le fait que la sienne était nickel chrome. On aurait presque pu y pratiquer une chirurgie à cœur ouvert.
Ouvrant un placard, elle en sortit un set blanc rayé turquoise et vert comprenant deux serviettes dont une dite de bain et un gant qu’elle posa sur le rebord du lavabo. Et puis aussi une fleur de douche. Elle ne savait pas ce qu’il préférait alors autant prévoir. Il choisirait lui-même. Elle vérifia la présence du gel douche - noix de coco ! – et du shampoing dans la cabine avant de retourner dans la chambre, souriant doucement à Rei.

« Et voilà ! Monsieur peut disposer de la salle de bain. Je t’ai posé tout le nécessaire sur le bord du lavabo. Prends ton temps et fais comme chez toi … »

Comme le psychologue était debout, l’infirmière put replacer sa couette et tira un peu dessus pour la lisser. Sautant agilement sur son propre lit avant de s’y assoir en tailleur, elle attrapa des coussins qu’elle cala entre son dos et le mur. Une fois convenablement installée, elle sourit à Kahlùa qui, par habitude, sauta à son tour sur le matelas, venant se loger aux côtés de sa moitié, ronronnant gaiment. La jeune femme saisit le livre qui reposait sur la table de chevet avant de l’ouvrir là où le marque-page trônait. Sur un ton amusé, elle s’adressa à son squatteur du moment :

« Au fait ! Si tu peux … évite de glisser dans la douche, j’aime pas bosser le week-end … »

Souriante, elle commença alors à lire.

Rei soupira lorsque Tomoe accepta sa requête à contrecœur. Il voyait bien qu’elle était totalement contre et elle lui dit même plutôt sèchement que c’était stupide. Elle ne comprenait absolument pas sa manière de pensée et n’essayait même pas de le comprendre. C’est pourquoi ce genre de personnes ne pouvait devenir psychologue, ils n’étaient absolument pas compréhensifs et ils restaient ancrés dans leurs principes sans chercher à voir s’ils pouvaient se tromper. Non, non, de toute façon, ils avaient forcément raison.
C’était ce genre de personnalités qui entraînaient les préjugés, le racisme, l’homophobie et l’ethnocentrisme. Ils créaient le plus mauvais de l’être humain en pensant avoir fermement raison et en suivant leur façon de pensée, sans jamais se remettre en question. Il resta silencieux, baissant le visage. Cela ne servait à rien de discuter plus sur le sujet, il pouvait déjà s’estimer heureux d’avoir réussit à avoir obtenu quelque chose du médecin scolaire.

Il lui demanda s’il pouvait emprunter sa salle de bain et elle essaya de faire un peu d’humour en lui déclarant qu’elle doutait que celle-ci refuse d’être utilisée. Il lui sourit avec douceur, par politesse. Elle se leva pour lui préparer ses affaires et sortit tout un tas de choses. Il put observer la salle de bain impeccable et il se sentit un peu gêné. C’était le genre de salle de bain où tu n’osais même plus te laver tellement elle était propre, par peur de la salir.
Le jeune homme pensait qu’une maison se devait d’être bien tenue et que la propreté et le rangement était importants mais, il pensait également qu’il ne fallait pas que ça tourne à l’obsession.

Son fin cerveau psychologue établit qu’il semblait y avoir une légère pathologie derrière tout ça. Peut-être pas au point où ça en deviendrait handicapant mais en règle générale, ceux qui avaient le besoin de tout nettoyer à ce point-là avaient quelque chose à cacher. Le plus souvent, c’était parce qu’ils se sentaient sales mais il y avait également tout un tas d’autres raisons et il ne voulait pas juger la jeune femme. Il ne connaissait rien d’elle et elle ne lui semblait pas être malheureuse. Il avait une image de Tomoe pleine de vie, de cynisme, également. En bref, ce n’était pas quelque chose auquel il devrait à tout prix faire attention. Il décida tout de même de surveiller un peu ça, sans pour autant s’y intéresser vraiment, ce n’était peut-être qu’une habitude acquise par l’intermédiaire d’un des parents qui avait cette habitude. Et puis, trop nettoyer, c’était toujours mieux que de ne pas le faire.

« Merci beaucoup. »

Il lui sourit avant de la regarder repartir dans la chambre, riant à sa seconde blague mais ne répliquant pas. Il referma la porte et observa la salle de bain plutôt mignonne, carrelée en noir et blanc, elle avait un sacré charme. Rei commença à se déshabiller et entra dans la douche. Il ouvrit l’eau et se détendit sous celle-ci, lâchant un petit gémissement de bien-être. Il se rendit finalement compte qu’il n’avait pas verrouillé la porte. Il haussa les épaules. Ce n’était pas grave. Il n’était pas chez un homme mais chez une demoiselle qui était, de plus, une amie à lui. Il ne risquait donc rien de grave.
Le psychologue se détendit donc de nouveau et resta un moment à profiter de la douche chaude. Il ferma cependant bien vite l’eau et entreprit de se savonner énergiquement, histoire de bien se réveiller. Savon noix de coco. Il n’était pas friand de cette odeur mais ce n’était pas désagréable. Il sourit en repensant à l’odeur de la jeune femme qui correspondait à ce savon. Il avait toujours pensé qu’elle se parfumait.

Rei se rinça et profita encore de l’eau brûlante. Il s’attaqua ensuite à ses longs cheveux et se massa activement le crâne. Il rinça. Il décida de ne faire qu’un shampooing, ses cheveux n’étaient pas tellement sales et il ne voulait pas user trop des biens de la demoiselle. Il sortit donc et s’enroula une serviette autour de la taille avant de sécher ses longs cheveux.
Lorsque le plus gros fut fait, il s’enroula la serviette dans ses cheveux et se sécha le reste du corps.

C’est en grimaçant qu’il remit les vêtements de la veille. Il n’aimait vraiment pas remettre les vêtements qu’il avait déjà mis après une douche, il avait l’impression que sa douche était alors devenue inutile. Il vérifia que rien n’était laissé et ramassa ses cheveux qui étaient tombés dans la douche pour les mettre dans la petite poubelle. A part les gouttelettes qui traduisaient son passage, l’endroit était impeccable. Il était fier de lui.
A cette pensée, un sourire franchement amusé étira ses minces lèvres et il ouvrit la fenêtre de la salle de bain pour laisser toute la fumée de sa douche disparaître. Il la laissa entrouverte et retourna finalement dans la chambre de Tomoe, un petit sourire sur les lèvres.

« Pfiouuu… Ça fait un bien fou ! »

Il se mit à rire avant de lui dire :

« Tu vois, tu n’as pas à bosser ! Je suis ressortit en un seul morceau. »

Il fallait dire que c’était un exploit pour un homme aussi maladroit que Rei. Il déclara ensuite :

« Je n’ai jamais dormi au pensionnat donc je ne sais pas comment on se débrouille au niveau du petit-déjeuner mais, tu as besoin d’aide ? »

Il s’apprêtait déjà à la prochaine étape. Enchaîner chaque étape de la journée à toute vitesse lui empêchait de penser, donc d’être hanté par le souvenir de cet homme…

Pendant ce temps, Tomoe avait lu tranquillement son roman du moment, ne relevant les yeux qu’au moment où elle avait perçu du mouvement à côté. Elle sourit.

« Ça, je veux bien te croire que ça fait du bien ! J’espère d’ailleurs que tu n’as pas vidé le ballon d’eau chaude, histoire que j’en profite un peu ! »

L’infirmière était d’humeur joyeuse malgré l’état contraire de son ami. Mais elle n’avait rien à se reprocher. Elle reposa son livre sur la table de nuit et s’étira énergiquement avant de se lever.

« Et en plus, tu m’évites de bosser … je n’ai même pas besoin de sortir la glu pour te recoller … c’est im-pe-cca-ble ! »

C’était déjà ça de gagner. Elle voyait déjà des bras cassés en semaine … alors s’ils pouvaient éviter de la poursuivre dans ses week-ends … elle en était plus que satisfaite. Quand Rei lui demanda comment aller se dérouler le petit-déjeuner, elle lui répondit tranquillement.

« Pardon, j’avais oublié que tu avais un appartement en ville … j’aurais bien aimé aussi remarque, j’aurais pu avoir un peu plus de place … mais ç’aurait été plus gênant pour les urgences nocturnes … »

Elle marqua un petit temps d’arrêt. Elle avait toujours été habituée à avoir de la place pour mettre ses livres et des tableaux amovibles sur lesquels elle pouvait écrire tout un tas de choses. Sérieuses ou non. Là, elle avait l’espace pour ses livres et c’était tout. Mais elle comptait se faire livrer des tableaux blancs à l’infirmerie … il fallait juste qu’elle demande l’autorisation au directeur. Rien d’insurmontable en soi.
D’ailleurs, hormis le jour où elle avait passé son entretien et celui où elle était arrivée, elle n’avait guère fait que de le croiser rapidement de-ci de-là. Rien de plus. Elle n’avait jamais eu de véritables occasions de discuter avec lui ou de faire plus ample connaissance. Même si elle était quelqu’un de froid et distant la plupart du temps, elle préférait avoir de bonnes relations avec ses collègues ou son patron en l’occurrence. Elle y remédierait un jour ou l’autre.
Elle reprit la parole.

«Et donc, pour répondre à ta question non, aucun besoin, tout se passe au réfectoire. Plateau et hop, tu choisis ce que tu veux … y’a rien de plus simple en fait. Tu as juste à débarrasser ton plateau et ce n’est pas le plus compliqué. »

C’était bien vrai. Une fois au réfectoire, il suffisait de prendre son plateau, de le poser sur le rail et d’avancer en conséquence tout en prenant les éléments souhaités pour le premier repas du matin. C’était vraiment simple. Et ça aidait pas mal d’élèves qui n’étaient pas réveillés le matin. En passant devant les composants, ils évitaient d’en oublier. Ainsi, ils ne ressemblaient pas - trop - à des flambys qu’on aurait laissé agoniser en plein désert du Sahara. Il y avait aussi moins de risques de carences, le réfectoire proposant un large panel de choix. Par contre … ils pouvaient prendre croissants et autres viennoiseries tous les matins si le cœur leur en disait … Il faudrait qu’elle en touche aussi deux mots au directeur, pour voir s’il n’y avait pas moyen de faire des roulements pour les éléments présents. C’était un point sur lequel elle pouvait réfléchir.

« Par contre, je doute que tout le monde apprécie que je débarque dans cette tenue … »

Personnellement, elle s’en fichait royalement de ce que les autres pouvaient bien penser d’elle. Mais elle ne tenait pas vraiment à se faire réprimander pour port de tenue … indécente. Donc si elle pouvait éviter, elle préférait tout autant.

« Si tu ne m’en veux pas, je vais t’abandonner quelques instants pour aller profiter de la douche moi aussi … »

La demoiselle pivota pour rentrer dans la salle de bain, s’arrêtant sur le seuil.

« Surtout, n’hésite pas et fait comme chez toi. Si tu veux prendre un bouquin, je t’en prie. Ils n’en seront que plus heureux d’être lus … »

Sur ces mots, elle fit le dernier pas pour entrer dans la pièce et poussa la porte derrière elle. Qu’il la voit ou pas, elle s’en fichait comme de sa première perfusion. Il devait probablement déjà avoir vu des femmes nues et elle n’était pas forcément pudique, se moquant encore et toujours ce qu’on pouvait penser d’elle. Que ce soit en mal ou en bien.
Elle attrapa sa serviette qu’elle posa à son tour sur le rebord de l’évier, prête à l’emploi avant de tendre un bras dans la douche pour faire pivoter le robinet, laissant ainsi l’eau s’écouler. Elle récupéra son bras et laissa glisser sa nuisette au sol, bien vite suivie du shorty qui l’accompagnait avant de se réfugier sous l’eau chaude. Aaaaaah, luxe, calme et volupté … ça y ressemblait grandement pour elle.