Maîtres des bois [Libre]

La journée était d’une fraicheur revigorante et la brise froide s’efforçait tant bien que mal de soulager les habitants de la chaleur des jours précédents. Une vraie libération pour Leydis et sa panthère qui, tout deux, très peu habitué à une telle hausse de température, étaient restés enfermés sous un bon air climatisé. Puisque le soleil semblait avoir calmé ses ardeurs, le jeune homme décida finalement de sortir dans son nouvel environnement. Il venait tout juste d’avoir ses 17 ans, comme il venait tout juste d’emménager dans la ville. Au risque de passer pour un amnésique de première classe, il traînait dans sa poche un plan des environs. Se retrouver perdu, très peu pour lui.

<< J’ai un très bon sens de l’orientation, ne préfères-tu pas te fier à mes sens plutôt qu’à cette stupide carte ? >>

Dragna et lui s’étaient engagé sur la rue principale, beaucoup trop bondée de monde à son goût. Les petites heures de l’avant-midi n’étaient nullement efficaces pour balayer la densité des gens qui circulaient. Le soir, c’était le même manège, voir pire. Ayant grandi dans un petit village, rien ne servait à préciser que Leydis était indisposé par un tel achalandage.

<< Je ne doute pas de tes capacités mais... mais la carte peut toujours être utile. >> Répliqua l’adolescent en tournant l’intersection d’un passage.
<< Encore faudrait-il que tu sois capable de la lire, non ? >>

Leydis allait questionner son amie, ne voyant pas la pertinence du commentaire, lorsqu’il releva les yeux vers les pancartes des rues pour se rendre compte qu’il ne reconnaissait pas l’endroit. Être lunatique, c’était bien pour rêvasser, mais pour ce qui était de l’orientation à Kyoto, c’était autre chose. Et pourtant, cette fois, O’Sullivan n’eut pas besoin de passer pour un imbécile. Un sourire victorieux étira son visage lorsque l’enceinte de l’hôpital se dessina à travers les autres immeubles.

<< Tu vois, je savais parfaitement où on allait ! >> Fit-il en reprenant la marche de bon train

Le grognement désapprobateur de Dragna résonna dans sa tête, ce qui eu pour effet d’agrandir le rictus à ses lèvres. Sa visite fut brève mais elle lui permit de constater par lui-même l’état de santé de sa mère. La voir ainsi couchée dans son lit reliée à de multiples appareils lui brisait le cœur. Mais il tira du bien de cette rencontre, les médecins lui ayant annoncé que son état était stable et, éventuellement, en amélioration. L’esprit léger, Leydis franchit les portes de l’établissement pour errer encore un peu dans la ville. Demain, il rentrerait au Pensionnat, alors encore à lui de profiter du peu de liberté qui lui restait.

Préférant le calme à la foule bruyante, nos deux amis se replièrent non loin du centre ville, là où les passants se faisaient plus rares. Une barrière d’arbres se dressa bientôt devant eux et Dragna y vit un endroit rêver où roupiller. Sans l’accord de son maître, elle s’y engouffra rapidement, longeant les troncs de sa silhouette effilée. Leydis suivit le pas imposé, yeux rivés à la cime des géants dont les feuilles formaient un paravent naturel contre les rayons indisposant du soleil. Un havre de paix. Plus la distance parcourue se faisait longue et plus les bruits des voitures s’éloignaient, au grand bonheur du jeune homme. Bientôt, sa panthère s’immobilisa devant un vieil arbre aux branches relativement basses et y planta ses griffes pour y grimper habilement. Son pelage moucheté se camoufla parmi l’écorce et elle invita d’eu feulement jouissif son maître à la rejoindre.

<< C’est bien là haut ? >> Demanda Leydis en s’agrippant à la première branche
<< C’est le meilleur endroit qu’on l’on n’est trouvé jusqu’à présent. >> Admit la douce voix de son amie

Encouragé, le jeune homme posa les semelles de ses Converses sur l’écorce de l’arbre et rejoint son Daemon juché un peu plus haut. Ils se retrouvèrent à environ 3 mètres du sol, nouveaux maîtres de la forêt. Heureux d’avoir fait la découverte de ce repère paisible, Leydis laissa aller son dos contre le tronc du feuillu et balança ses jambes dans le vide en fermant les yeux. L’odeur des fougères et de la sève formèrent un délicieux parfum à son nez et le vent frais suffit de lui apporter le repos. Sa main caressa la douce fourrure de Dragna qui venait de poser sa tête sur sa cuisse, adoptant la même pose nonchalante et les paupières closes. La mélodie du vent berçait leur tranquillité...

La forêt était d’un calme troublant, même en plein jour, paradoxalement à la ville. Leydis somnolait depuis déjà quelques minutes, balançant entre un sommeil paisible et une sieste agitée. Reste qu’il n’était pas encore dans les bras de Morphée lorsqu’il ressentit, tout comme sa panthère, une présence étrangère s’approcher de son lieu de repos. Dragna releva doucement la tête en ouvrant un œil puis se tourna vers son maître qui était resté sans bouger.

<< Nous avons de la visite Leydis... >>

Le jeune homme balaya cette remarque d’un geste las de la main, il préférait encore dormir. De toute façon, il était bien probable que ces inconnus passent leur chemin sans rien dire. Évidemment, il n’en fut rien et le brun devina bien au grondement sourd de son deamon que les nouveaux arrivants s’étaient arrêtés sous l’arbre. Ce que Dragna pouvait être associable. Leydis battit des paupières, se réhabituant la lumière du jour qui filtrait à travers les feuilles et baissa la tête pour apercevoir une petite boule de poil noir-doré tenter d’escalader le tronc de l’arbre sur lequel il était perché.

<< Il va essayer longtemps... >> Fit la voix sarcastique de sa panthère dans sa tête

Cette réplique lui arracha un sourire et il se redressa en position assise sur la branche basse pour regarder le spectacle. Il allait se mettre à rire devant les tentatives inutiles du chiot qu’il trouvait, somme toute, très adorable, lorsque celui-ci s’affala au sol comme une roche.

<< Strike ! >> Clama Dragna en se levant comme si le chiot n’était qu’une vulgaire quille
<< C’est bon, arrête, il est peut-être blessé. >>

Sans plus attendre, Leydis sauta de son perchoir sous l’œil bienveillant et protecteur de sa panthère qui resta plus haut à regarder son maître faire son vaillant chevalier. Il n’avait pas encore remarqué le jeune garçon qui accompagnait le chien, bien qu’il ait senti sa présence depuis le début. Un maître et son deamon, sans aucun doute, le lien semblait bien tressé entre eux.

<< Ça va, pas trop de mal ? >> Demanda-t-il en s’avança vers le duo

Il regarda le chiot blottit dans les bras du garçon qui était, à première vue, sûrement plus jeune que lui. Alors il lui sourit amicalement et tendit la main en sa direction pour se présenter, question de politesse.

<< Leydis, et toi ? >>
<< Il nous gâche la sieste. >> Grommela Dragna qui était restée perchée sur la branche

Le brun ignora la mauvaise humeur de sa panthère, beaucoup trop habitué à ce qu’elle se vexe pour un rien lorsqu’on la dérangeait dans ses heures de repos, et détailla le jeune homme face à lui. Cheveux châtains en bataille et grands yeux nougat, il lui paraissait aimable à tout première vue et c’était bien une des premières rencontres qu’il faisait. Autrement, il avait sociabiliser avec quelques commerçants des boutiques aux alentours, mais tous parlaient japonais et lui, le japonais, c’était sa faiblesse. Étudiez une langue étrangère aussi compliquée, ça le saoulait.

Leydis remarqua bien la surprise du jeune garçon lorsqu’il se retrouva devant lui, paradoxalement à son deamon qui battait joyeusement de la queue, pas embarrassé pour le moins du monde. Le brun serra la main du plus jeune avec une poigne solide, accompagné de son habituel sourire charmeur, et fut bien soulagé de constater que cet Akemi parlait français. S’en suivit d’un petit jappement de la part de son chien et Leydis tourna la tête vers sa panthère en la questionnant du regard.

<< Il dit qu’il s’appel Saké. >> Traduisit-elle, se montrant complètement désintéressée de la conversation.

Le brun se retourna, un fin rictus pendu aux lèvres, et se pencha vers le chiot en arborant un air enchanté.

<< Saké ? C’est un joli nom. >>

À peine avait-il finit de prononcer sa phrase que le deamon courrait en direction de l’arbre en aboyant. Leydis rit doucement lorsque Dragna haussa hautainement la tête, surprise et étonnée devant autant d’entrain. Sa panthère avait toujours été d’un naturel calme et doux, mais avoir quitté le pays la rendait quelque peu aigrie et distante, c’était désolant. Néanmoins, le jeune homme était sur que tout ça s’arrangerait avec le temps.

<< Va jouer ailleurs, sac à puce. >>

Elle se mit à grogner du haut de son perchoir, suivant les sautillements de ses billes bleus. Leydis se tourna vers le garçon, passa une main dans ses cheveux et haussa les épaules, désolé.

<< Faut pas lui en vouloir. >> Fit-il à l’intention de son amie. << Nous avons quitté l’Alaska depuis peu et disons qu’elle à du mal à s’intégrer ici. La neige et les grands espaces lui manquent beaucoup. >> << Dragna, si tu ne descends pas tout de suite de cet arbre, ça iras mal pour toi ! >> rajouta tout de même l’adolescent par l’entremise de la pensée

Les fois où il s’adressait à son deamon par le biais de l’esprit étaient rares, mais utiles lorsqu’il voulait faire passer des messages clairs et privés. La panthère émit un dernier grondement désapprobateur avant de se laisser glisser de son poste d’observation pour atterrir habillement au tronc de l’arbre. Elle regarda le petit chien, posa son énorme patte sur son adorable tête et le reluqua de haut.

<< Tu n’es pas un peu petit toi ? >> Fit-elle remarquer avec une voix mi-sérieuse mi-ironique

Content qu’elle se déride enfin de sa mauvaise humeur, Leydis reporta son attention sur Akemi et il croisa ses bras musclés sur son torse.

<< Et toi, tu habites dans le coin ? Si oui, tu risques d’être au pensionnat Pluie d’Automne, je me trompe ? >>

Ça l’aurait bien arrangé tout compte fait. Il rentrait à ce même lycée le lendemain, et connaître quelqu’un déjà présent dans ce milieu pouvait être un avantage. Lui qui n’était pas très doué en orientation, il aurait sûrement vite fait de se perdre dans les couloirs de l’école...

Leydis ne cessait de surveiller son amie du coin de l’œil, conscient qu’elle pouvait avoir mauvaise foi bien que, généralement, elle fût d’un habituel calme et doux. Ça le désolait un peu à vrai dire, mais toute la faute à porter devait être mise à ce déménagement de pays et à la soudaine maladie de sa pauvre mère.

<< Et ta panthère, elle se nomme comment ? >>

Le brun regarda le jeune garçon devant lui avec un petit moment de réflexion où il se souvint qu’en effet, il n’avait présenté son daemon. Puis, redoutant que sa panthère veuille sociabiliser dans son état, il sourit et prit parole à sa place.

<< Dragna. >> Fit-il simplement en la regardant perchée sur sa branche, sa longue queue blanche se balançant dans le vide, tandis que Saké essayait vainement de la faire descendre

Puis il expliqua au jeune homme la raison pour laquelle son amie était-elle si désagréable. L’autre sembla s’en attrister. De toute, elle finirait bien par s’intégrer, ne manquait qu’un peu de temps et voilà, le tour était joué. D’ailleurs bien satisfait que sa panthère se dégourdisse les pattes en sympathisant avec le daemon de son vis-à-vis, il se concentra un peu plus sur le jeune garçon en face de lui qui lui annonça être aussi nouveau qu’il l’était au pensionnat.

<< Oui, exact, je rentre demain, comme toi. En deuxième. Non seulement j’ai tout le plan de la ville à apprendre mais il va aussi falloir que je me repère dans les dédalles des couloirs >> Soupira-t-il, mi-exaspéré, mi-ironique
<< Bon sens, combien de fois devrais-je te le répéter Leydis ! Je serai ton guide, pas besoin de t’encombrer d’un gamin pour retrouver notre chemin ! Et puis il n’est pas plus avancé que toi en terme d’ancienneté. >>

Dragna avait arrêté son jeu et c’était tourné vers l’inconnu, le petit chien encore sur les talons qui la suivait comme son ombre. Jouant la carte de la sourde oreille, le brun ne fit qu’afficher un léger sourire à l’intention d’Akemi.

<< Si tu veux, on pourra s’entre aider là-bas. >> Proposa-t-il << Si on se gourde, alors on sera deux. >>

Il agrémenta le tout d’un rictus charmeur comme s’il savait si bien le faire et cette initiative fut accompagnée d’un léger grondement de la part de son amie. Jalouse et à mauvais caractère, ce n’était sûrement pas sa meilleure journée. Mais Leydis se foutait bien de ce que pouvait penser sa panthère et Akemi semblait être quelqu’un de largement fréquentable, mignon qui plus est, alors il n’allait certainement pas laisser passer sa chance.

<< Au juste, qu’est-ce que tu faisais dans les parages ? Moi, je faisais la sieste mais bon, ce n’est sûrement pas un lit que tu cherchais par ici. >>

Leydis avait toujours été quelqu’un de très sociable, peut-être un peu trop même, mais pour une fois, cette habitude dégourdie lui porta fruit. Il apprit avec joie que le jeune garçon qu’il venait juste de faire connaissance fréquentait justement la même école que lui, et ça lui enleva un certain poids du je-suis-nouveau-et-seul-je-ne-connais-rien-à-rien. Puis Akemi lui proposa son aide tant qu’à son orientation sur la ville. Il entendit Dragna soupirer lacement dans sa tête et il sourit.

<< Pour la ville, ça ne sera pas de refus. J’ai encore un peu de mal à m’y retrouver. Tellement de rues et tellement de monde... et pour l’école, on sera au moins deux. >>

30 minutes pour trouver sa chambre ? Le brun rit doucement, ne sachant trop s’il ferait mieux ou pire. Pire à coup sur, il manquerait certainement deux ou trois fois la porte de son dortoir, trop tête en l’air, et aussi beaucoup trop têtu pour accepter l’aide de sa panthère. Justement, elle fixait le jeune garçon en face de lui, le jaugeant du regard. C’était habituel, son petit examen visuel, personne n’y échappait. Sa façon à elle de s’assurer qu’un individu était ou non potable pour son maître. Elle venait à peine de détourner son attention qu’elle sentit deux petites pattes se poser sur son flanc. Baissant la tête, elle aperçût avec un haussement de sourcil que le jeune chiot tentait maintenant de l’escalader. Il aurait vraiment tout essayé.

Se tournant vers Leydis, la panthère lui lança regard ennuyé mélangé à un peu de rigolade jusqu’à ce qu’Akemi gronde son daemon. Dragna afficha un léger rictus qui découvrit à peine ses canines blanches comme le lait et souleva une de ses pattes, étonnée que le jeune chien se glisse sous elle pour batifoler entre ses jambes. Il était joueur, il n’y avait pas de doute là-dessus. D’ailleurs, la panthère se demandait bien s’il était capable de tenir en place plus de 5 secondes sans remuer un seul poil.

De son côté, Leydis trouvait aussi que ce chiot était tout un numéro et il ne manqua pas de constater l’embarras de son jeune maître. Il sourit, mais ce n’était surtout pas pour se moquer, juste qu’il trouvait la situation assez coquasse. Saké avait l’air de tout contrôler, un peu comme Dragna avec lui qui aimait bien le mener par le bout du nez. Son tempérament de dominante lui faisait très souvent plier l’échine et il écoutait tous ses conseils sans rouspéter.

Alors la curiosité le piqua et il demanda au garçon ce qu’il était venu faire dans ce coin-ci de la ville. Comprenant qu’on puisse s’ennuyer dans un pensionnat où on ne connaissait personne, Leydis hocha lentement la tête à la réponse d’Akemi. Puis il sentit la présence de son daemon tout près de lui et tendit sa main qui se posa sur la tête douce de la panthère.

<< Qu'est-ce que tu attends comme ça Leydis ? >> Fit la voix réprobatrice de sa meilleure amie << Il semble gentil ce gamin, fais-toi en un ami, invite-le à prendre un morceau. >>

Étonné d'une telle proposition venant de la part de son deamon qui semblait si ennuyée de cette compagnie surprise quelques secondes auparavant, il ne broncha cependant pas et prit le conseil en note. Manger une bouchée, et pourquoi pas. Il remonta la manche gauche de sa veste pour observer sa montre dont les chiffres numériques affichaient près de midi. Il leva la tête en direction d'Akemi puis lança un sourire discret au petit chiot qui les avaient rejoins avant de demander tout bonnement :

<< Un petit bistro, ça te dirait ? Je sais qu'on ne se connait pas vraiment encore mais ça serait un bon moyen de le faire. >>
<< Je te paye le repas... >> Rajouta Dragna, visage impassible
<< Je te paye le repas. >> Répéta Leydis en souriant

Oui, sa panthère était une contrôlante qui devait toujours rajouter son petit grain de sel et s'assurer que tout se déroulait comme prévue. Une bonne mère, sans aucun doute, et le jeune homme se trouvait bien heureux de l'avoir à ses côtés.